Voyage en parentalité
Aujourd'hui, ma fille a eu 7 ans. Ma deuxième fille. 7 ans, l'âge de raison (si quelqu'un peut m'expliquer?), un cran de plus dans l'autonomie, des mots toujours plus justes, une pensée sans limite avec encore un regard de petit enfant.
J'avais déjà savouré un moment similaire. Son aînée avait eu 7 ans avant elle. Comme pour toutes les grandes étapes de sa vie, quelqu'un était passé avant. Et elle après. C'est quelque chose qui m'a interpellée aujourd'hui, qui m'interpelle souvent. La place de deuxième (troisième, quatrième...).
Enceinte d'elle, je savais déjà qu'il ne fallait pas « comparer ». C'est bien connu, on ne compare pas les enfants entre eux, ça peut être d'une violence extrême pour les deux parties. J'en étais profondément convaincue. Mais ce que je ne savais pas, c'était comment sortir de la théorie, comment « ne pas comparer ».
Comment, quand tu vis une grossesse avec un enfant plus grand en demande permanente d'attention et insomniaque du matin, ne pas comparer avec la grossesse précédente où tu n'avais que toi-baleine à prendre en charge ? Comment, quand tu remets tes habits-baleine de la fois d'avant, ne pas comparer ? Comment, au moment de choisir un prénom, un lieu d'accouchement, une prépa à la naissance, s'affranchir de l'expérience précédente ? « Ne pas comparer », c'est, dès la grossesse, une injonction d'autant plus pesante qu'elle te vient de toi-même.
Et puis, le bébé arrive. Le bruit court que le deuxième accouchement est plus facile que le premier. « Ne pas comparer », vous disiez ? Tu découvres une bouille à croquer... Le jeu des ressemblances commence... Et l'aîné.e reste un peu le bébé de référence pour toi. Le poids, la taille... Le sommeil, la prise de poids... Les tétées de l'aîné.e yeux dans les yeux vs. les tétées du / de la deuxième en racontant une histoire à l'aîne.e (jour faste) ou en tentant de l'habiller d'une main pour ne pas être encore en retard à l'école (jour down). « Ne pas comparer ? » Mission impossible.
Et puis toutes les autres étapes, le début de « l'éducation », les premières « bêtises ». Que tu le veuilles ou non, le premier enfant était le seul avec lequel tu avais tissé une vraie relation jusqu'à ce moment-là. Tout est si frais dans ta tête, l'erreur du copié-collé te guette chaque jour. Oh, pourtant, tu connais la théorie, chaque enfant est différent, « ne pas comparer ». Et toi aussi tu es différent.e. Le premier te fait parent, le deuxième te RE-fait parent. Une nouvelle version par-dessus la version précédente. La mise à jour ne se fait pas toujours sans heurt.
C'est une chose de partir de zéro, sur une page blanche, et d'inventer sa parentalité et sa relation avec son enfant. C'en est une autre de partir d'un texte déjà écrit et d'avoir à tout gommer et remanier parce que rien ne fonctionne comme prévu avec le deuxième.
Chaque enfant est un voyage. Il t'emmène quelque part où parfois tu n'avais pas prévu d'aller. Quand le premier t'embarque, c'est tout nouveau tout beau. Tu pars sans carte. Avec une boussole intérieure pas toujours bien calibrée. C'est pas forcément facile, mais assez magique. Ton premier voyage en parentalité. Tu découvres, tu t'émerveilles, tu te casses la gueule parfois sur des pentes un peu abruptes. Tu crayonnes une carte pour y voir plus clair, tu commences à bien connaître le terrain. Les endroits à éviter, les points d'eau pour te ressourcer. Tu es en train de devenir un voyageur expérimenté. Et puis, un autre périple se présente à toi ; tu le feras auprès de ton deuxième enfant. Cette fois, tu as emporté la carte qui tu as tracée la dernière fois. Tu te sens un peu plus touriste qu'aventurier.e. Et il te faudra t'égarer quelques fois avant de comprendre qu'on te t'a pas emmené.e sur le même continent. Tu t'attendais à l'Afrique ; te voilà en Amazonie. Si tu restes les yeux rivés sur ta carte, tu te perdras tout à fait. Tu passeras à côté de toutes les beautés de cet autre voyage. Mais ce n'est pas une raison pour te priver de ce que tu auras appris de ton expérience précédente. Maintenant, tu connais ton endurance et tes limites. Tu t'es équipée de bonnes chaussures. Tu feras peut-être des choix différents. Et puisque tu as su construire une carte, tu sauras en construire une autre ! Tu vas pouvoir profiter différemment de chaque escale. Tu éviteras quelques chutes. Mais pas toutes, car les reliefs de ce pays-là seront vraiment différents. Avoir encore en tête les images du voyage d'avant ne t'empêchera pas de t'émerveiller de celui-ci.
Je crois qu'on peut « comparer » nos expériences avec nos enfants sans être dans le jugement, l'évaluation ou la dépréciation de l'un d'eux. Je crois qu'on peut accepter les pensées parasites genre « mais comment est-ce possible que ça soit comme ça avec cet enfant-là ??? » sans en faire tout un plat, en toute bienveillance envers nous-mêmes. « Tu ne compareras pas » : je crois que j'avais trop pris cette injonction au pied de la lettre.
A tous les parents qui culpabilisent ou ont culpabilisé de trop comparer. A tous ceux qui se sont étonnés de ne pas « y arriver » mieux que ça avec cet enfant-là. A tous ceux qui se sont perdus à trop regarder la mauvaise carte, sans se laisser le temps de s'arrêter et d'apprendre le nouveau chemin.
Refermez votre carte périmée, laissez-vous guider comme vous avez fait la première fois. Ne vous demandez pas si c'est plus facile ou plus difficile. Rappelez-vous juste que c'est tout aussi enrichissant.
A tous les « deuxièmes » qui ont poussé dans l'ombre d'un.e « premier.e ». A celles et ceux qui ont porté les fringues d'un.e autre, qui ont eu beaucoup de jouets, mais tous déjà usés ou démodés. A celles et ceux qui ont pensé un jour que tout ce qu'elles ou ils feront ne sera qu'une pale tentative de copie de ce que l'aîné.e a fait avant. A ma petite sœur, et à ma deuxième fille.
Vous n'êtes pas passé après, vous êtes passé ailleurs. Merci pour ça.