Conflit thérapeutique
La semaine dernière, il m’est arrivé un truc.
En fait, ça faisait quelques semaines, plusieurs mois, qu’il m’arrivait un truc : une gêne très forte et de plus en plus prononcée face à une professionnelle de santé qui suivait mes filles de façon hebdomadaire. Deux fois 1/2h par semaine de “gêne”, inconfort, désaccord avec mes convictions. Deux rendez-vous par semaine à rester zen et à sourire alors que dedans ça faisait NON.
Mais pourquoi sourire et rester zen quand dedans ça fait non ?
Parce que l’approche de cette professionnelle semblait efficace. Parce que d’autres parents du village lui faisaient confiance et semblaient très bien vivre ce qui me posait problème. Parce que son cabinet n’était qu’à 5 minutes de l’école et que cette proximité facilitait la gestion du quotidien. Parce que j’ai à cœur de m’adapter, de relativiser, d’accepter des fonctionnements différents du mien, d’essayer de voir derrière les maladresses une personne qui fait de son mieux, avec sa perception, sa sensibilité, ses outils de communication. Parce que j’ai envie de placer la bienveillance et le non-jugement au centre de ma relation avec l’autre quel qu’il soit.
Et aussi, en vrai, parce que je suis nulle en conflits. Parce que c’est quelque chose qui me fait complètement flipper depuis toujours. Parce que j’ai le sentiment de toujours en ressortir un peu cassée de l’intérieur, un peu moins entière, ébranlée, en danger, tout ça.
Et enfin, parce qu’un conflit avec son compagnon, avec une amie ou un voisin, ok, ça se tente. Mais avec un professionnel de santé… Non, bah, non, ça ne se fait pas. Tu sais, c’est un peu ce mythe du super-pouvoir du gars supérieur à toi derrière son bureau laqué, avec ses dossiers, ses pots à stylos et ses trucs de déco chelou que tu dois toujours dire à tes gosses de ne pas y toucher. Alors, je sais, vous êtes plein à ne jamais avoir cru à ce pouvoir, pas une seule seconde, et bravo !!! C’est génial, sincèrement ! Mais on est aussi quelques un.e.s à y avoir cru, c’est moche, hein. Oh, pas officiellement, hein, genre, sur un sondage, jamais je n’aurais coché la case “les gens remboursés par la sécu valent mieux que moi”, jamais ! Quelle idée ! Par contre, dans un tout petit recoin poussiéreux de mon inconscient, hum, l’idée était bien ancrée.
Donc, bon, reprenons : pendant plusieurs mois je suis restée zen alors que ça faisait non. C’était inconfortable mais “connu”, et donc sécure. Tout le monde sait qu’il vaut mieux te sentir sécure sur une chaise qui te casse le dos plutôt que d’essayer de te trouver un fauteuil confortable. Pis la semaine dernière, en pleine séance, une veille de nouvelle lune (aucun rapport), d’un coup, d’un seul, tu te lèves et tu hurles : “mais c’est pas permis de proposer des chaises pareilles aux gens, vous êtes en cheville avec un ostéo, ou quoi???” Nan, ça c’était juste dans ta tête. Dans la vraie vie, même si tu sens que tu perds un peu le contrôle de ta zen attitude, tu prends le temps de formuler les choses le plus posément possible, tu pars de toi “je ressens un inconfort persistant à… j’ai l’impression que ma fille n’est pas très à l’aise non plus… serait-il envisageable d’envisager...?” Bah, oui, quand même, j’y ai mis les formes, j’ai déjà dit que je flippais des gens qui te demande ta carte vitale. Mais le langage-je ne m’a pas épargné le conflit. Aaaaahhhhh !!! Évidemment, les premières secondes, j’ai retenu ma respiration pour voir si je pouvais rembobiner l’espace-temps juste sur 2 minutes ½. Échec. Ensuite, me sentant tout de même légitime dans mes remarques, j’ai tenté d’argumenter, d’expliquer, de montrer que j’étais sympa même si la chaise inconfortable ne me convenait plus. Échec. Ensuite, j’ai pas trop assuré avec une petite réaction sans filtre, juste une toute petite phrase, mea culpa. Double échec. Enfin, j’ai tenté de rappeler les points positifs de notre relation, pour finir sur un truc plus léger : la chaise ne valait rien, mais vraiment, j’appréciais le choix des rideaux (et c’était sincère!). Triple échec.
Et là, en sortant du cabinet, juste avant que je ne me jette sous une voiture de désespoir d’avoir foiré ma com’ et d’avoir provoqué un CONFLIT avec un professionnel de santé, ma fille m’a regardée avec des étoiles plein les yeux (bon, je soupçonne l’adrénaline d’avoir un peu perturbé ma perception de la réalité), un sourire jusqu’aux oreilles, et m’a dit “Maman, tu l’as fait !!! Tu lui as dit ! Mais c’est incroyable ! Comment tu as fait, jamais j’aurais osé !” Hey, hey, je sais pas mais je l’ai fait, I did it ! A ce moment-là, j’étais encore sous le choc d’avoir provoqué un tel raz-de-marée uniquement pour mon bien-être et celui de ma fille, mais j’étais prête à remonter la pente. D’autant plus que la méchanceté n’était pas en train de ressortir de mon visage sous forme de pustules comme pour la méchante sorcière de Blanche-Neige (on ne vous a pas raconté ça quand vous étiez petits, vous?), et que tout le monde continuait à me regarder normalement dans la rue.
Le coup de grâce a été donné le lendemain, quand la professionnelle de santé m’a envoyé un mail de rupture. Cette fois, c’était sûr, j’avais plus que plus que foiré ma com’. J’avais été maladroite, agressive dans mon langage corporel (merci le corps de ne jamais mentir!!! je te revaudrai ça, tiens!), non-bienveillante. Aaaaaahhhh !!! Cette fois, ma première réaction a été d’attraper le verre de bière de mon mari (qui était plus près que le mien) en disant “passe-moi ta bière”. Pas joli-joli, hein. La deuxième a été de refermer immédiatement le mail en espérant avoir une bonne surprise à la prochaine ouverture. Ensuite j’ai oscillé entre fous-rires nerveux et montées de stress et de culpabilité pendant une petite heure. Finalement, j’ai partagé ma mésaventure sur les réseaux sociaux et des propositions d’aide me sont arrivées de partout. On vit quand même dans une époque formidable.
Le surlendemain (vous inquiétez pas, c’est bientôt fini, je vais pas vous faire la semaine entière), j’ai fait le bilan.
1/ Le ciel ne m’était pas tombé sur la tête. Bah non, cocotte, en réalité l’univers n’était pas centré sur ta petite personne au point déclencher une chute céleste au moindre débordement de ta part. Quelle déconvenue…
2/ Je n’allais plus jamais devoir aller m’asseoir sur cette chaise qui me cassait le dos. Apparemment, aucun fauteuil n’était disponible dans ce cabinet, mais avec un peu de patience, j’allais probablement trouver un professionnel chez qui ma fille et moi pourrions poser nos fesses confortablement. C’est bien d’être sécure et ne pas faire de vagues, mais c’est encore mieux de prendre soin de son popotin.
3/ Puisque j’avais (malgré moi, hein) osé provoquer un conflit avec un professionnel de santé, puisque le ciel ne m’était pas tombé sur la tête et que mon popotin me remerciait de cette initiative… Ça voulait dire… Peut-être, hein… Ça voulait peut-être dire que j’aurais pu le faire avant… Genre quand le docteur S., “mon” gynobs, est venu constater l’ampleur des dégâts, heu, examiner mon épisio et m’écrabouiller l’utérus, sans même remarquer la (“sa”?) patiente située tout en haut dudit-utérus. Ou quand, quelques années plus tôt, je changeais de gynéco à chaque nouveau besoin de renouvellement de pilule, dans l’espoir de tomber sur un pro un peu moins… un peu plus…? Ou quand, un siècle plus tôt, le docteur Machinchose, à qui j’étais venue demander ma première prescription de pilule, m’avait scrutée des pieds à la tête en me demandant “tu as des rapports sexuels?” (sérieux, c’était flippant, ce “tu”, d’un coup, on aurait dit le “tu aimes les films d’horreur?” de Scream - ma culture ciné de l’époque, ça vous permet de dater le truc)
Et, donc, après avoir fait ce riche bilan, je me suis rendue à l’évidence : il fallait que je partage cette histoire avec toutes les femmes / hommes / enfants qui croyaient encore pouvoir déclencher une colère céleste avec décrochement d’un morceau de ciel en se rebiffant contre un professionnel de santé. Vous n’êtes pas le centre du monde ! Moi non plus (c’est bon, j’ai eu quelques jours pour faire mon deuil). Vous avez le droit de demander une autre chaise si vous êtes mal installés. Vous avez même le droit de demander une autre chaise, d’autres rideaux, un autre professionnel, soyons fous ! Vous avez le droit de demander poliment, vous avez le droit de laisser votre langage corporel vous trahir (si vous êtes comme moi, vous n’aurez pas le choix - souriez, cela s’appelle : authenticité), vous avez même le droit d’élever la voix et de taper du poing sur la table. Et après tout cela, quand vous sortirez dans la rue, vous aurez la même tête (pas pire… pas mieux!), la boulangère vous dira bonjour, vous aurez un petit pic d’adrénaline complètement physiologique qu’il faudra accueillir avec bienveillance. Si vous laissez l’adrénaline vous traverser comme une vague, cela sera moins douloureux. Vous pouvez même utiliser des visualisations pour vous aider. Vous aurez peut-être la conscience un peu plus lourde d’avoir causé de la contrariété à quelqu’un, et certainement beaucoup plus légère d’avoir été en accord avec vous-même et d’avoir fait respecter vos besoins / ceux de vos gosses !!!
Bref, un petit conflit de temps en temps, quand il est légitime, ça fait pas de mal, et c’est tellement thérapeutique… Ca devrait même être remboursé par la sécu !